Bien-être animal
L’animal est un être sentient, raisonnable, intelligent et sociable

L’animal est un être sentient, raisonnable, intelligent et sociable

Chaque jour, les progrès en éthologie cognitive révèlent au monde les capacités étonnantes et admirables des animaux. Désormais, ces découvertes permettent à l’humanité d’avoir une image positive des animaux et de contribuer à leur bien-être.   

La sentience des animaux

Le mot sentience, utilisé dès 1789 par Bentham, n’est apparu que récemment (dans les années 1980) dans le vocabulaire des scientifiques, avec la traduction beaucoup trop réductrice d’être sensible, qui fait perdre 75% du sens originel.

Selon Donald Broom, professeur en bien-être animal au Centre for Animal Welfare and Anthrozoology de Cambridge, un être sentient est capable « d’évaluer les actions des autres en relation avec les siennes et de tiers, de se souvenir de ses actions et de leurs conséquences, d’en évaluer les risques et les bénéfices, de ressentir des sentiments, d’avoir un degré variable de conscience ». Un être sentient ressent la douleur, le plaisir et diverses émotions. Il a la capacité d’éprouver des choses subjectivement et d’avoir des expériences vécues. Un être sentient est un être conscient.

En clair tout comme les animaux, nous sommes des êtres sentients, qui exprimons nos émotions selon la couleur de nos compétences sensorielles – l’humain peut être un grand bavard, comme l’est aussi un perroquet, un merle ou une pie. Alors que le chat sera sensible au monde des odeurs, à celui des subtilités de luminosité, tout comme la vache qui peut se braquer devant une flaque qui l’éblouit. Dans nos cerveaux, lorsque nous avons la chance d’être en bonne santé, les émotions jaillissent et nous construisent, les uns avec les autres, humains et animaux. Certains chats n’oublient jamais les traumatismes de l’abandon, comme certains chiens reconnaissent entre mille les odeurs des jumeaux de la famille où ils vivent, tout comme certains d’entre nous tressaillent de joie en entendant le timbre de la voix de leur chanteur préféré ou de l’amour de leur vie.

Tous les concepts de sentience et de bien-être ouvrent le champ de l’éthique et de la morale, à tous les animaux, notamment avec des comportements altruistes. Nous avons tous vu un animal porter assistance à un autre, de son espèce ou pas, gratuitement, par affection, témoignant d’abnégation, de solidarité, pour ne pas laisser un des siens sur le bord de la déroute. Les familles d’orques sont, par exemple, fort soudées et organisées; elles se relayent pour éduquer un juvénile. Les animaux ne sont certes pas dotés de nos capacités verbales, ce qui ne les empêche pas d’exprimer leurs émotions autrement. 0n peut s’interroger sur notre incapacité à les comprendre pleinement. Les oiseaux émettent des sons, souvent trop rapidement étiquetés de chants ce qui les réduit à une fonction exclusivement esthétique; encore trop incompréhensibles pour nous, ces « chants » sont certainement autant de messages à décoder dans les contextes précis dans lesquels ils sont émis. De la même façon, le monde des odeurs, dans lequel chiens et chats naviguent avec allégresse, a certainement ses codes, symboles et sa grammaire qui nous échappent, tout comme la signification des « chants » des baleines ou des échanges de bulles et de sons entre les dauphins, tous doués de sentience.

Langage

La « communication » animale possède certains points communs avec le « langage » humain.

L’une des difficultés de l’étude d’éventuelles capacités langagières chez l’animal réside dans le fait que, lorsqu’on tente une définition du langage, elle se résume souvent à une définition du langage humain, excluant de facto une telle maîtrise chez l’animal. Les éthologistes, comme Irene Pepperberg ou Sue Savage-Rumbaugh, sont plus nuancés et invitent à placer la communication sur un continuum. Les différences seraient donc davantage de degré que de nature.

Sue Savage-Rumbaugh, au travers de l’apprentissage d’un langage symbolique, le « yerkish », a pu montrer que le chimpanzé bonobo Kanzi est capable d’associer des lexigrammes avec des objets, des actions ou des personnes. Il peut également créer des associations de lexigrammes pour créer un sens nouveau. Ces créations originales ne relèvent donc pas d’un apprentissage.

Alex, un perroquet gris du Gabon, a montré à l’ éthologiste, Irene Pepperberg, qu’il pouvait non seulement décrire des objets, les identifier et nommer leur différence, mais aussi dire des phrases courtes comme « Alex donne pomme Irène », ou l’inverse.

Construction de catégorie (catégorisation)

La capacité à regrouper des objets au sein d’une même classe, suppose, en plus de l’élaboration d’une relation de ressemblance ou de différence entre les caractéristiques physiques des stimuli, le recours à une représentation de la classe comme entité discriminable elle-même de celle d’une autre classe.

Des études spectaculaires ont été menées sur le pigeon par Richard Herrnstein et ses collaborateurs afin d’attester cette capacité. Des pigeons ont été entraînés à discriminer, sur un ensemble de quatre-vingt diapositives, celles sur lesquelles figurent des arbres – la moitié du lot – de celles où il n’y a pas d’arbres – l’autre moitié. Une seule diapositive est montrée à la fois. Le pigeon reçoit un stimulus positif, en l’occurrence de la nourriture, quand il donne en guise de réponse un coup de bec sur une clé se trouvant sous la diapositive montrant un arbre ; lorsqu’il répond de cette manière à une diapositive sur laquelle ne figure pas d’arbre, il ne se passe rien. Après un grand nombre de séances d’entraînement, la plupart des pigeons ont discriminé correctement les deux sous-ensembles d’objets, c’est-à-dire qu’ils ne becquettent plus guère la clé que lorsque des arbres leur sont montrés. Pour les chercheurs, les pigeons sont parvenus à abstraire le concept d’arbre dans la mesure où ils sont capables de le généraliser à d’autres spécimens d’arbres pour lesquels ils n’avaient pas été entraînés.

Ces capacités de discrimination du pigeon ne se limitent pas à des objets comme les arbres, objets dont l’importance est évidente pour un oiseau. D’autres recherches ont en effet montré que cet oiseau est également capable de reconnaître des scènes aquatiques comportant des poissons de celles où les poissons sont absents. D’autres travaux suggèrent que l’animal peut considérer des dimensions plus abstraites dans les processus de catégorisation. Fagot et Thompson montrent qu’ils peuvent par exemple regrouper dans la même classe des paires d’objets représentant les mêmes relations abstraites d’identité ou de différence.

Cette capacité de catégorisation a également été démontrée chez les dauphins et les singes. Elle semble largement répandue dans la nature et n’est pas une caractéristique propre de l’espèce humaine.

Mémoire

Des données, recueillies à l’aide de protocoles expérimentaux similaires et se rapportant à la mémoire de listes, sont disponibles à la fois pour le pigeon et pour le singe. Ces travaux permettent d’établir des comparaisons entre deux espèces et de comparer également les performances des animaux avec des sujets humains.

La technique de l’apprentissage sériel a été appliquée à des singes apelles par D’Amato et Colombo. Les singes ont acquis plus rapidement que les pigeons une liste de cinq objets comprenant des couleurs ou des formes non colorées. D’après Terrace, le singe développe une représentation linéaire de la liste lui imposant de commencer au début de celle-ci et de s’y déplacer jusqu’à ce qu’il localise l’un des items apparaissant dans un sous-ensemble donné. En revanche, pour produire sa séquence, le pigeon s’appuierait sur la saillance du premier et du dernier item de la liste37. L’ensemble de ces résultats montre que l’oiseau et le primate mettent en œuvre des stratégies cognitives qui, bien que différentes, impliquent l’usage de représentations dans l’apprentissage de listes d’items.

De son côté, Tetsurō Matsuzawa, primatologue japonais, a étudié les capacités d’un chimpanzé, baptisé Ayumu, à reproduire une séquence de chiffres après ne les avoir vus qu’une fraction de seconde. Un groupe d’étudiants fut ensuite soumis au même test, et il apparut qu’avec six mois d’entraînement, ceux-ci étaient moins rapides que le singe. Matsuzawa observe qu’Ayumu réussit à reproduire la séquence dans 80 % des cas, tandis que les étudiants n’y parviennent que dans 40 % des cas. Joël Fagot et Robert Cook ont montré que des pigeons et des babouins peuvent mémoriser des milliers d’images et les réponses qui leur sont associées, et garder une trace en mémoire de ces apprentissages pendant une durée estimée à un an.

La mémoire épisodique, que l’on croyait exclusive aux humains, est la capacité de se souvenir d’un objet dans un moment donné et à un endroit précis. Le geai buissonnier, qui a l’habitude de cacher de la nourriture, est un bel exemple. Nicolas Clayton de l’Université de Cambridge et son équipe ont voulu reproduire le phénomène en laboratoire. Ils ont placé le geai dans une cage à trois compartiments communiquant entre eux, mais dans laquelle seul le compartiment de droite contenait de la nourriture. Durant deux heures par jour, pendant cinq jours, les chercheurs ont enfermé l’oiseau dans l’un des compartiments, qui un jour contenait de la nourriture et le jour d’après non. Le sixième jour, l’oiseau avait déplacé de la nourriture dans le compartiment qui n’en contenait pas. Le chercheur a conclu que l’oiseau avait une capacité à planifier en se servant de sa conscience du passé, du présent et du futur.

Comptage

La capacité des animaux à compter est généralement testée en proposant le choix entre au moins deux dispositifs différant par le nombre d’items (le bon choix étant associé à une récompense), et en variant les situations de choix. Les singes et les oiseaux sont capables de compter: par exemple, les cormorans utilisés en Chine dans une forme de pêche traditionnelle n’acceptent de continuer, après une série de sept prises, que s’ils peuvent manger le huitième poisson. Certains insectes aussi savent compter (jusqu’à 4 pour les abeilles).

Une variante des tests précédents permet d’évaluer la capacité des animaux à évaluer si un nombre est plus grand qu’un autre, et même leur capacité à considérer le zéro (l’absence d’items) comme un nombre inférieur aux autres. Cette capacité a été démontrée chez les gris du Gabon et chez les singes rhésus, et jusque chez les abeilles domestiques.

Des expériences scientifiques ont par exemple révélé que les bébés humains se trouvent sur un pied d’égalité avec les animaux lorsqu’il s’agit d’arithmétique simple : une découverte étonnante qui met en évidence l’intérêt de la recherche sur l’intelligence animale. D’une manière générale, les performances numériques des singes et des humains au langage arithmétiquement pauvre ne se distinguent pas fondamentalement.

Permanence de l’objet

Les théories de Jean Piaget concernant le développement de l’intelligence chez l’enfant ont inspiré un certain nombre de travaux en psychologie comparée de la cognition. Selon ce psychologue – également biologiste, logicien et épistémologue –, l’acquisition de la permanence de l’objet est très importante pour le développement de la pensée. Grâce à l’acquisition de cette permanence, l’enfant peut concevoir les objets comme des entités fixes et permanentes. Cette acquisition entre la naissance et l’âge de deux ans passe par une série de six stades. Elle sert de support à de multiples acquisitions au cours de l’enfance et est indispensable pour l’organisation de l’espace, du temps et de la causalité.

La permanence de l’objet apparaît au cours du stade 3 pour l’enfant, vers l’âge de six mois. Dans les stades suivants, l’enfant maîtrise les déplacements visibles d’un objet sous des « écrans » – des serviettes de bain, par exemple, ou n’importe quoi pouvant servir à le dissimuler –, puis est capable d’en reconstituer mentalement les déplacements invisibles que l’expérimentateur fait effectuer à celui-ci.

De nombreuses espèces animales, comme le hamster, le poussin, le chat et les primates, ont été soumis à des tests de permanence de l’objet. Les résultats à ces tests diffèrent selon les espèces concernées, et seuls les primates montrent un ordre d’apparition des stades correspondant à celui qui est observé chez l’enfant. Toutefois, certaines espèces s’arrêtent au stade 4. C’est le cas pour le singe-écureuil étudié par Vaughter et ses collaborateurs. Le chimpanzé étudié par Wood et ses collaborateurs franchit toutes les étapes et parvient même au stade 6 plus rapidement que l’enfant. Il n’est pas surprenant que des primates non humains, qui se déplacent de façon autonome dans l’espace beaucoup plus tôt que les jeunes enfants, apprennent plus rapidement qu’eux les relations objectives et spatiales entre objets. Le test de permanence de l’objet pourrait donc remplir un rôle différent dans les constructions cognitives de l’homme et du primate.

Utilisation d’outils et degré d’innovation

La capacité d’utiliser des outils a très longtemps été considérée comme un aspect de l’intelligence. Cette capacité se développe chez un individu probablement grâce à un mélange d’apprentissage imitatif et instrumental. À cet égard, il est difficile de séparer l’utilisation d’outils par les primates du développement de l’exploration chez le pinson pic. Certains biologistes, tout en admettant que l’utilisation d’outils n’est pas, en soi, un signe d’intelligence, arguent qu’elle prépare le terrain pour un comportement réellement intelligent, qui implique l’innovation.

Le cas d’emploi d’outil le plus accompli rapporté à ce jour concerne le cassage de noix par les chimpanzés, observé par Sugiyama et Koman en Guinée, et par Hedwige Boesch dans la Forêt de Taï en Côte d’Ivoire.

Les noix les plus fréquemment cassées par ces chimpanzés possèdent une coque très dure, et cette activité requiert des conditions spécifiques : la présence d’une « enclume », une souche ou une pierre plate , sur laquelle la noix est placée et d’un « marteau » , un morceau de bois ou une grosse pierre, qui sert d’outil pour la briser. La résistance de ces noix contraint les chimpanzés à sélectionner les meilleurs « marteaux » et à les transporter jusqu’au pied des noyers. Une étude de l’organisation spatiale du transport des « marteaux » conduite par le couple Boesch suggère que les chimpanzés se souviennent des lieux où les outils possibles se trouvent. De plus, ils choisissent leurs pierres de telle sorte que le trajet entre l’outil sélectionné et l’arbre implique le parcours minimal. La stratégie adoptée par le chimpanzé consiste à sélectionner d’abord un arbre porteur de noix, puis à choisir une pierre en fonction de la distance à parcourir. Pour les chercheurs, ces comportements supposent une représentation spatiale élaborée qui permet au chimpanzé de mesurer les distances et de les comparer entre elles.

Un autre exemple stupéfiant : les chimpanzés et les corbeaux de Nouvelle-Calédonie ont la capacité d’utiliser des brindilles qu’ils adaptent et insèrent dans un trou d’arbre ou une crevasse pour dénicher des insectes et se nourrir. Ces observations ont été faites maintes fois en milieu naturel. Toutefois, il arrive que les chercheurs observent des événements inusités qui relèvent de l’innovation. Par exemple, une corneille d’Israël a été aperçue alors qu’elle utilisait un morceau de pain qu’elle laissait flotter à la surface de l’eau pour leurrer des poissons. Elle alla même jusqu’à tenter de les attirer vers des endroits plus accessibles pour elle.

Enfin, le trap-tube test est aussi une méthode utilisée pour vérifier si l’animal comprend la relation de cause à effet lors de l’utilisation d’un outil. Le Dr Elisabetta Visalberghi a observé des capucins en train de se servir d’une sorte de bâtonnet qu’on leur avait fourni pour retirer d’un tube de la nourriture qu’on y avait préalablement placée. En poussant sur la nourriture avec le bâtonnet, la nourriture tombait de l’autre côté et n’était pas accessible, alors que si le singe essayait de tirer la nourriture vers lui, il pouvait l’obtenir. Le capucin n’a pas été capable de comprendre le phénomène de façon assez convaincante pour les chercheurs.

Raisonnement

Sue Savage-Runbaugh observa avec l’aide de Kanzi, singe bonobo, que les primates sont capables de mentir. Pour ce faire, elle offrit une clé à Kanzi. Ce dernier alla la cacher une fois Sue repartie. Par la suite, la chercheuse demanda au singe de lui redonner la clé, mais semblant l’avoir perdue, tous les deux se sont mis à la chercher, sans résultat. Une fois seul, le singe alla chercher la clé et l’utilisa pour sortir de son enclos.

Un autre cas recensé de mensonge implique la femelle gorille Koko. S’exprimant en langage gestuel, elle impliqua sa monitrice alors qu’elle avait détruit un évier. Lorsqu’on lui demandait pourquoi elle avait commis un tel geste, Koko répondait avec front : « Kate évier mal ».

Pour ce qui concerne leurs capacités logiques, des expériences ont montré que les rats ont la capacité d’apprendre des règles et de les transférer d’une situation à une autre, qu’ils sont capables d’inférences causales et possèdent l’aptitude de distinguer la cause d’un simple phénomène associé, que les otaries maitrisent le concept d’identité logique entre deux éléments visuels très différents, que les chimpanzés ont le sens de la causalité, savent raisonner de façon inférentielle par exclusion, connaissent les règles élémentaires de la physique (idée du poids sur une balance…) et que certains d’entre eux sont capables de raisonner selon un processus d’inférence transitive.

Emotions et leurs expressions

La peur de l’anthropomorphisme a eu pour conséquence que les chercheurs ont longtemps abordé avec prudence cet aspect de l’intelligence animale. L’émotivité animale existe, les animaux et notamment les primates exprimant des sentiments forts, souvent proches de ceux des humains.

Les travaux de Jaak Panksepp ont montré que le rire n’est pas une expression émotionnelle qui est le propre de l’homme. Il est présent chez des animaux relativement proches de l’homme comme les singes bonobos ou les chimpanzés, mais également chez des animaux plus éloignés comme les rats. Les circuits neuronaux du rire se trouvent d’ailleurs dans des zones du cerveau humain phylogénétiquement très anciennes.

Les chercheurs se sont posé la question de savoir dans quelle mesure les animaux ressentent ce que nous nommons de l’« amour ». A priori, la chimie de l’amour ne distingue pas l’Homo sapiens des autres êtres vivants. Des cas ont été décrits dans de nombreuses espèces, notamment chez les baleines. L’éthologiste Marc Bekoff voit la confirmation de ce sentiment dans le comportement de certains animaux, qui ayant perdu leur conjoint, perdent également le goût de vivre, ce qui peut aller jusqu’à provoquer leur mort.

Sara, une jeune chimpanzé apprit le langage des sourds et muets, expliqua à son gardien qu’elle s’ennuyait d’un copain décédé. Selon Étienne Danchin, chercheur et coauteur du livre Éthologie comportementale, cette anecdote démontre que les primates peuvent avoir une certaine conscience du vide et ressentir de l’angoisse.

Conscience de soi

Le thème de l’attribution des savoirs concerne en premier lieu les connaissances qu’un individu peut élaborer à propos de lui-même. Une méthode pour évaluer ces connaissances se rapporte par exemple aux réactions que cet individu manifeste devant son image dans un miroir.

L’un des tests les plus usités pour vérifier l’intelligence d’un animal est l’épreuve du miroir, qui consiste à placer l’animal à tester seul devant un miroir pour voir s’il se « reconnaît », s’il a conscience de lui-même. Pour ce faire, l’animal est marqué avec de la peinture à un endroit où il ne peut pas s’observer lui-même, par exemple sur le front pour un chimpanzé. Ensuite, l’observateur étudie le comportement de l’animal : s’il attaque son reflet ou le fuit, c’est signe qu’il ne comprend pas que c’est lui qu’il voit dans le miroir et non pas un autre animal. Par contre, s’il tente de savoir ce qu’il y a derrière le miroir, s’il touche la marque de peinture avec insistance et s’il inspecte diverses autres parties de son corps qu’il ne peut observer par lui-même, c’est signe qu’il comprend que c’est lui qu’il voit dans le miroir, et donc cela prouve qu’il a conscience de lui-même.

 À ce jour, seuls les grands singes, le dauphin, l’orque, la pie, le corbeau, l’éléphant et le porc, ont passé avec succès le test du miroir. Les premiers tests faits avec les grands singes n’ont pas été concluants car les chercheurs plaçaient la caméra en face de l’animal. Or, les grands singes détestent se regarder dans les yeux. Ils détournaient donc le regard de l’écran. Si l’on place la caméra de côté, le grand singe se reconnaît aisément.

L’épreuve du miroir ne serait pas adaptée à toutes les espèces car par exemple, pour certaines, notamment chez les mammifères, c’est l’odeur qui est le principal facteur de reconnaissance de soi et des autres individus, et non la vision.

Des phénomènes de coopération, de collaboration voire d’assistance à l’autre sont observés chez certaines espèces et individus (au sein d’une même espèce et parfois avec d’autres espèces). Deux jeunes manchots éloignés de leur groupe le retrouvent plus vite et en ligne plus droite en couple que seuls.

Quels sont les différents degrés de conscience chez les animaux ?

Plusieurs recherches montrent aujourd’hui que de nombreuses espèces animales que nous utilisons tous les jours dans nos vies sont capables de ressentir la douleur, mais aussi d’être conscientes de cette douleur et d’agir en conséquence pour la diminuer et se placer dans des conditions plus optimales de bien-être. Pierre Le Neindre, responsable scientifique de l’expertise scientifique collective sur la conscience animale de l’Inrae, et ses collaborateurs publient en 2018 un livre scientifique intitulé La conscience des animaux et qui explique très bien les différents niveaux de conscience et quelles espèces les possèdent.

Pour simplifier, il existe trois niveaux de conscience. La conscience d’accès est la conscience de son environnement et le fait d’agir en fonction de cet environnement. En fait, la plupart des espèces ayant un système nerveux central et capable d’apprentissage possèdent cette conscience d’accès.

La conscience phénoménale caractérise le ressenti ou le vécu permettant de s’adapter aux situations et faisant intervenir les émotions et d’autres capacités cognitives comme la mémoire épisodique ou la métacognition, c’est-à-dire « je sais ce que je sais » ou « je sais ce que je ne sais pas ». Par exemple, nous pouvons apprendre à un animal à reconnaître la couleur bleue et la couleur rouge en tapant sur un écran tactile. Quand il sait reconnaître ces couleurs, vient la phase de test : à droite se trouve par exemple la couleur bleue, à gauche la couleur rouge et au milieu la couleur test. Si la couleur test est rouge, alors le sujet appuie à gauche de l’écran tactile. Une troisième phase peut être présentée avec un bouton joker qui signifie « je ne sais pas ». Si la couleur présentée est connue de l’animal (soit rouge ou bleue), alors il n’appuiera pas sur le bouton joker mais à droite ou à gauche de l’écran. Il indique qu’il sait ce qu’il sait. Par contre si la couleur présentée est du violet, ou du vert, alors le sujet appuiera sur le bouton joker indiquant qu’il sait ce qu’il ne sait pas.

De tels tests dits de jugements cognitifs ont ainsi pu montrer que des poules, des pigeons, des rats ou encore des singes étaient capables de dire s’ils étaient sûrs ou non de leur réponse et donc de leur savoir. Ces tests ont été effectués sur des couleurs, comme présentés au-dessus, mais aussi sur des formes (carrés, ronds, octogones, etc.), des sons de fréquence différente ou des cachettes spatiales.

Enfin, la conscience de soi est la capacité de se placer dans son environnement social, de savoir que l’on existe et que nous pouvons agir sur nos conspécifiques. Cette conscience fait intervenir le concept de théorie de l’esprit permettant d’attribuer des niveaux d’intentionnalité aux autres animaux, allant du suivi du regard aux croyances. L’attribution de croyances a été par exemple prouvée chez les grands singes ou les éléphants, comme les notions d’empathie ou de moralité si chères au primatologue Frans de Waal.

Vie sociale

Les animaux sont également des créatures sociales. Des études ont montré l’importance des connaissances sociales chez les éléphants. Les groupes sont organisés par les matriarches qui possèdent les « répertoires de la connaissance sociale » et sont les détentrices du savoir collectif. Ainsi, la possession de capacités discriminatoires renforcées par l’individu le plus âgé d’un groupe peut influencer les connaissances sociales du groupe dans son ensemble. L’étude souligne le danger pour le groupe quand les individus plus âgés et plus expérimentés, qui sont souvent une cible pour les chasseurs en raison de leur grande taille, sont mis à mort.

Les primates ont une vie sociale particulièrement riche. Les babouins et les chimpanzés consacrent une grande partie de leur temps à observer ou identifier autrui. Ce lien social lié à l’apprentissage a un effet bénéfique. Ainsi, les enfants des femelles babouins fortement associés aux autres survivent mieux. Le primatologue Frans de Waal a notamment mis en évidence le phénomène de réconciliation chez de nombreuses espèces de primates après une interaction conflictuelle, aptitude que l’on considérait auparavant comme réservée à l’espèce humaine. Dans La politique du chimpanzé (1987), il montre que la complexité du jeu social de ces animaux est très loin de se réduire à un système hiérarchique basé sur la seule force physique.

Les animaux sont des acteurs de leur environnement et de leur société

Les différentes recherches en éthologie montrent donc qu’il est urgent de ne plus considérer l’animal non humain comme un objet. Aujourd’hui, le Code rural et le code civil considèrent l’animal comme un être sensible, lui donnant le statut de patient moral. Mais il est nécessaire d’aller plus loin et lui donner le statut d’agent moral.

L’agentivité est la capacité d’un individu, appelé acteur, à agir dans et sur un environnement donné. Cette définition peut cependant devenir plus étroite si la subjectivité du sujet, animal ou humain, est considérée, c’est-à-dire au minimum sa conscience phénoménale. Blattner et ses collaborateurs affirment qu’il faut passer du temps avec les animaux, apprendre d’eux et avec eux, et être prêts à réagir et adapter notre processus d’étude par le biais de nos relations avec eux.

 Ainsi, les animaux ne devraient plus être considérés comme de simples objets de connaissances ou de matières premières, mais comme de véritables producteurs de connaissances et à ce titre, de véritables collaborateurs.

Références bibliographiques :

– The Conversation (février 2022). L’animal n’est pas un objet, mais un agent moral

– Ensemble Pour Les Animaux (Juillet 2017). Sentience : un mot à connaître et employer sans modération

– Fondation Droit Animal (Juillet 2019). Le mot sentience entre dans le Larousse 2020

– Wikipedia (janvier 2022). Intelligence animale